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L'adaptation : l'angle mort de la lutte contre le changement climatique

Pour combattre le réchauffement climatique, on parle le plus souvent de réduire les émissions de gaz à effet de serre, principe qui est plus communément appelé l’atténuation. Pourtant, un aspect crucial de cette lutte est souvent négligé et rarement évoqué dans le débat politique : il s’agit de l’adaptation face au changement climatique, également appelée “résilience climatique”.

[🇫🇷 French version]

De plus en plus nombreux, les scientifiques ne cessent de nous alerter ! Nous sommes très loin d’une trajectoire de décarbonation alignée à l’Accord de Paris, qui vise à contenir le réchauffement climatique mondial en dessous de 2°C par rapport aux niveaux préindustriels, et idéalement à 1,5°C.

Au rythme actuel, nous nous dirigeons droit dans le mur, vers une augmentation moyenne de +3°C (minimum) d’ici la fin du siècle. Les conséquences pour la planète et nos modes de vie actuels sont difficilement appréciables par l’esprit humain. Malgré cette urgence, les décisions audacieuses se font toujours attendre.

Pour combattre le réchauffement climatique, on parle le plus souvent de réduire les émissions de gaz à effet de serre, principe qui est plus communément appelé l’atténuation. Pourtant, un aspect crucial de cette lutte est souvent négligé et rarement évoqué dans le débat politique : il s’agit de l’adaptation face au changement climatique, également appelée “résilience climatique”.

Nous sommes contraints de repenser nos nouveaux projets et nouvelles solutions sous l’angle de la résilience, en les rendant capables de faire face à des scénarios de réchauffement climatique élevé, pouvant atteindre +4°C. Il faut savoir que même dans un scénario à +2°C, nous devrons disposer de solutions pour faire face aux effets du changement climatique qui se font par ailleurs déjà ressentir. Travailler sur l’adaptation climatique ne signifie nullement se résigner ou adopter une attitude défaitiste dans la lutte contre le changement climatique. Au contraire, c’est une démarche essentielle qui s’inscrit en parallèle de nos actions pour construire un monde plus durable.

L’adaptation au changement climatique a longtemps été le parent pauvre des débats publics et des investissements, mais cette tendance a évolué depuis 2022, notamment avec des initiatives telles que Paris sous 50°C et la préparation à un scénario de +4°C à l’échelle nationale. Pour rappel, l’adaptation est aussi le 2ᵉ des six objectifs de la Taxonomie verte Européenne. 

Le coût de l’adaptation, en France, a été estimé par l’I4CE, en 2022, à un minimum de 2,3 milliards d’euros supplémentaires par an, en tenant compte des dernières données disponibles. En 2019, le Climate Policy Initiative a signalé dans son rapport que l’adaptation ne représentait que 5% des flux financiers destinés au climat.

Des enjeux clés ressortent sur l’adaptation et un bon nombre d’entre eux ont été bien identifiés dans le dernier rapport du GIEC:

  • Renforcer les infrastructures de transport ou d’énergie pour en assurer la résilience dans un contexte de plus grande variabilité climatique
  • Tenir compte dès maintenant des enjeux de confort d’été dans la conception et la rénovation des bâtiments avec comme moteur : Comment faire vivre confortablement des humains à + de 50°C ?
  • Transformer les systèmes agricoles pour faire face à des sécheresses et épisodes climatiques plus fréquents et plus intenses
  • Recomposer les littoraux pour vivre avec la hausse du niveau de la mer.
  • Adapter les villes pour qu’elles restent vivables

Ces enjeux cruciaux nous démontrent que nous sommes confrontés à des défis à la fois sur le plan sociétal et technologique. Par exemple : 

  • Les infrastructures de transport doivent être capables de fonctionner même sous des températures atteignant 50°C, ce qui pose actuellement des problèmes d’exploitation pour des moyens de transport tels que les trains. 
  • Le secteur agricole doit maintenir sa productivité tout en résistant aux aléas climatiques et à la sécheresse.

Certains projets parviennent à concilier ces deux objectifs en développant des solutions qui non seulement contribuent à la réduction des émissions de gaz à effet de serre, mais également à la promotion de pratiques durables et résilientes, même dans des scénarios de réchauffement climatique élevé.

Les fonds d’investissement ont un rôle important à jouer, ils ont la capacité de flécher leurs investissements vers des projets et technologies prometteurs, qui pourraient répondre à certains des enjeux soulevés. Nous avons identifié deux grandes catégories de projets/solutions que nous considérons comme prioritaires :

  • Solutions pures d’adaptation et de résilience face au changement climatique : Ces solutions se concentrent sur nous aider à mieux nous adapter au changement climatique.
    • Nous avons par exemple voulu miser très tôt sur des technologies de ce type, notamment sur l’indoor farming avec Agricool. Ce type de modèle nécessite de recréer artificiellement des éléments naturels tels que la lumière du soleil, la pollinisation, le vent, et d’autres services écosystémiques gratuits, ce qui engendre des investissements massifs. La viabilité du modèle n’est pas démontrée à date. Faute de suffisamment de terre arable pour nourrir la population mondiale, l’indoor farming a des chances de s’imposer un jour mais dans un horizon de temps incertain.
    • Un autre exemple plus parlant pour tout le monde est le besoin en climatisation qui va devenir incontournable dans les prochaines années, mais dont la technologie est, à l’heure actuelle, fortement néfaste pour l’environnement. L’enjeu de la climatisation a été bien identifié et de nombreuses avancées se font dans ce domaine-là, on peut citer, entre autres: Exergyn, Leviathan Dynamics, ou encore les recherches faites du côté de Berkeley Lab News Center.
  • Facilitateurs d’adaptation (enablers) : Cette catégorie englobe une variété de technologies qui facilitent la mise en œuvre des solutions de résilience qui appartiendraient à la première catégorie. Cela englobe : des technologies de data agricoles ou climatiques, ou encore des technologies de gestion précise de l’irrigation, ultra-ciblée, permettant d’adapter l’arrosage en fonction des besoins spécifiques de chaque culture et de chaque zone. On peut citer des entreprises comme Indigo, XFarm et Naïo Technologies qui sont des exemples de sociétés qui travaillent sur les défis de l’agriculture de demain, ou encore Pasqal dans le domaine du calcul quantique, qui ouvre la voie à des modélisations avancées en météorologie et en données climatiques.

En tant que fonds d’investissement, nous constatons que très peu de technologies axées sur l’adaptation au changement climatique parviennent dans notre dealflow, et celles qui le font ne disposent souvent pas d’un modèle économique viable qui permettrait d’obtenir au capital un fonds de Venture. De plus, l’adaptation au changement climatique nécessitera d’importants investissements dans des infrastructures et du financement de “hardware” gourmand en capex. Ces deux types de financement ne sont généralement pas notre domaine de prédilection. C’est pourquoi les subventions publiques et les aides gouvernementales sont essentielles pour garantir la pérennité de ces solutions.

Les enjeux de résilience ne se limitent pas au changement climatique. La perte de biodiversité est également une menace majeure pour la planète. Pour y faire face, des solutions développées sur les principes de “nature based”, du “biomimétisme” ou encore des solutions “bio-inspirées” sont nécessaires. Les innovations liées à l’agriculture ne peuvent pas ignorer ce pan. Conserver et restaurer la biodiversité est la 3ème brique à rajouter à l’adaptation et l’atténuation, étant donné notre profonde interdépendance avec la nature. C’est un ensemble incontournable pour garantir la durabilité de notre planète et la préservation de nos écosystèmes, indispensables à la vie et à notre futur.

Nous sommes donc confrontés à la nécessité de repenser les modèles de financement existants pour faire face à ces défis cruciaux. Les enjeux sont considérables, et il est impératif de trouver des solutions innovantes pour y faire face, car ces technologies joueront un rôle essentiel dans notre capacité à développer une résilience climatique. Les entrepreneurs d’aujourd’hui sont conscients de ces enjeux et nous sommes convaincus qu’ils joueront un rôle clé dans l’innovation. À nous de les aider.

Par Damien Didier.

 

 

[🇬🇧English version]

Adaptation: the blind spot in the fight against climate change

More and more scientists are constantly warning us! We are far from a decarbonization trajectory in line with the Paris Agreement, which aims to keep global warming below 2°C compared with pre-industrial levels, ideally aiming for 1.5°C.

At the current rate, we are heading straight through the wall, towards an average increase of +3°C (minimum) by the end of the century. The consequences for the planet and our current way of life are difficult to fathom for the human mind. Despite this urgency, bold decisions have yet to be taken.

To tackle climate change, the focus is often on reducing greenhouse gas emissions, a principle commonly referred to as mitigation. However, one crucial aspect of this fight is often neglected and rarely mentioned in the political debate: adaptation to climate change, also known as “climate resilience.”

We must rethink our new projects and solutions from the perspective of resilience, making them capable of coping with scenarios of high global warming, potentially reaching up to +4°C. It’s important to remember that even in a +2°C scenario, we will still need solutions to deal with the effects of climate change, which are already being strongly felt. Working on climate adaptation in no way means giving up or adopting a defeatist attitude in the fight against climate change. On the contrary, it’s an essential part of our efforts to build a more sustainable world.

Adaptation to climate change has long been the neglected relative of public debates and investments, but this trend has shifted since 2022, particularly with initiatives such as “Paris under 50°C” and national preparations for a +4°C scenario. For the record, adaptation is also the 2ᵉ of the six objectives of the European Green Taxonomy.

The cost of adaptation in France was estimated by I4CE in 2022 at a minimum of an additional €2.3 billion per year, based on the latest available data. In 2019, the Climate Policy Initiative reported that adaptation accounted for only 5% of climate-related financial flows.

Key challenges emerge in adaptation, many of which were well-identified in the latest IPCC report:

  • Strengthening transportation and energy infrastructure to ensure resilience in a context of greater climate variability.
  • Incorporating summer comfort issues into building design and renovation, with the key question being: How can people live comfortably in temperatures of over 50°C?
  • Transforming agricultural systems to cope with more frequent and intense droughts and climatic events.
  • Reconfiguring coastlines to deal with rising sea levels.
  • Adapting cities so that they remain liveable.

These critical issues demonstrate that we are facing both societal and technological challenges. For example:

  • Transport infrastructure must be able to function even at temperatures reaching 50°C, which currently poses operational problems for transportation modes like trains.
  • The agricultural sector must maintain its productivity while resisting climatic hazards and drought.

Some projects succeed in reconciling both of these objectives by developing solutions that not only contribute to reduce greenhouse gas emissions but also promote sustainable and resilient practices, even in high global warming scenarios.

VCs have a significant role to play; they have the capacity to direct their investments toward promising projects and technologies that could address some of the issues raised. We have identified two broad categories of projects/solutions that we consider to be priorities:

  • Pure climate adaptation and resilience solutions: These solutions focus on helping us adapt better to climate change.
    • For instance, we were very keen to invest early on in technologies of this type, particularly in indoor farming with Agricool. This type of model requires us to artificially recreate natural elements such as sunlight, pollination, wind and other free ecosystem services, which requires massive investment. The viability of the model has yet to be demonstrated. Given the limited arable land to feed the global population, indoor farming may have a role to play, but the timeframe is uncertain.
    • Another more relatable example for everyone is the growing need for air conditioning, which is becoming more indispensable years after years. However, the technology is currently highly detrimental to the environment. The challenge of air conditioning has been well recognized, and numerous advancements are being made in this field. Notable developments include companies such as Exergyn, Leviathan Dynamics, and research being conducted at the Berkeley Lab News Center, among others.
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  • Adaptation enablers: This category encompasses a variety of technologies that facilitate the implementation of resilience solutions falling under the first category. This includes agricultural or climate data technologies, as well as ultra-targeted irrigation management technologies that allow watering to be adapted to the specific needs of each crop and area. Companies like Indigo, XFarm, and Naïo Technologies are examples of firms working on the challenges of agriculture in the future. Additionally, Pasqal in the field of quantum computing is paving the way for advanced modeling in meteorology and climate data.

As a VC, we note that very few technologies focused on climate adaptation make their way into our deal flow, and those that do often lack a viable economic model to attract venture capital funding. Furthermore, climate adaptation will require significant investments in infrastructure and financing of capex-intensive hardware. These two types of financing typically do not align with our primary focus as a VC. This is why public subsidies and government support are essential to ensure the long-term viability of these solutions.

Resilience challenges are not limited to climate change. Biodiversity loss is also a major threat to the planet. To address this, solutions developed based on principles like “nature-based,” biomimicry, or bio-inspired approaches are needed. Innovations related to agriculture cannot ignore this aspect. Conserving and restoring biodiversity is the third building block to add to adaptation and mitigation, given our profound interdependence with nature. It is an essential element in safeguarding the sustainability of our planet and preserving our ecosystems, which are essential to life and to our future.

We are thus faced with the need to rethink existing financing models to address these crucial challenges. The stakes are high, and it is imperative to find innovative solutions to address them, as these technologies will play a vital role in our ability to develop climate resilience. Today’s entrepreneurs are aware of these challenges, and we are convinced that they will play a key role in innovation. It’s up to us to support them.

by Damien Didier